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LE VOYAGE EST UN LUXE ESSENTIEL / N. AMBROSETTI

N. AMBROSETTI

Rien de plus simple que de suggérer la conscience collective des valeurs essentielles faisant écho à la notion de liberté.

Rien de plus actuel que de donner de faux-semblants aux tons de grands espaces vierges, aux rives encore nues à une population en mal de repères. De promettre des étendues sauvages sur lesquelles on se libèrerait de toutes contraintes citoyennes ou collectives.

De couper les ponts, de toucher au sacré, de partir fouler les traces de ces aventuriers qui désormais deviennent les icônes d’une génération en manque de projets.

On épate à court terme et on promet à tort. Faudrait-il encore une fois faire sacrifice de ses intérêts et de son petit confort sans possibilitéde retour, ni halte rassurante ? Abandonner son confort n’est pas un exercice facile ni même le dessein proposé.

La question n’est plus là ou alors est réservée à une minorité, mais il convient d’en faire la nuance.

L'aventure n'existe pas. Elle est dans l'esprit de celui qui la poursuit, et dès qu'il peut la toucher du doigt, elle s'évanouit pour renaître bien plus loin, sous une autre forme, aux limites de l'imagination. C’est ici que s’inscrit la nécessité de partir. Peut-être plus dans l’optique de ne pas savoir quand on rentre, voire même plus simplement dans la question de savoir si l’on rentre un jour… Et c’est cela finalement le vrai sens mystique du mot "revenir" .

Et quand bien même la destination n’est pas encore celle des bouts du monde, si elle ne donne pas toujours lieu à des rencontres extraordinaires, et si, dans une forme plus humble, elle n’est pas encore l’ascension d’un mont himalayen encore vierge, elle est déjà une rencontre avec soi.

Voici l’occasion d’évoquer un formidable voyage. Pour fêter l’arrivée du printemps, j’avais décidé de partir quelques jours à Paris avec pour seul compagnon mon appareil photo,et d’en revenir avec une collection de prises que j’aurais partagée avec mes proches. Il n'en fut rien.

Le jardin du Luxembourg avait donné congé à ses curieux et s’était réservé le plus bel orage de saison. Les allées étaient désertes et mes pas faisaient crisser le gravier humide qui me fêtait pour n’être que son seul visiteur.

Je marchais et sentais mon âme se libérer de toute contrainte de temps, je laissais la pluie caresser mon visage. Les arbres et les massifs laissaient découvrir leurs plus belles parures de saison et dans mon rendez-vous avec une partie de l’histoire, j’avais ce sentiment de tendre vers un meilleur…

Je crois même que, l’espace d’un instant, se tenait à mon bras une femme ravissante à qui je contais ma joie et la beauté du lieu. J’étais à mon tour un poète.

Mon chemin m’avait emmené au Panthéon, à la rue Carnot et, en traversant l’Ile Saint-Louis, je m’étais définitivement envolé sur les toits de la capitale, bien au-delà en fait… Je me souvenais de cette mousson à Manali, et des pommes des vergers de l’Himachal Pradesh, des sentiers corses, de l’odeur des rues de Buenos Aires et des sous-bois de Malval, j’étais à mon tour au coeur du monde…

Alors je me suis souvenu de ces lectures, de ces pensées, de ces voyages et de ces rencontres, souvenu de ce désir de témoigner de cette passion du monde et de faire état, dans une conjoncture morose, de la grâce d’un départ. Je retrouvais le bonheur de prendre le temps…

Paris, les gravillons du jardin du Luxembourg, et cette inconnue à mon bras me rappelaient surtout que le voyage est une question d’attitude plus que de lieux, que le lieu est un prétexte, et que, malgré sa grâce, il est toujours le point de départ de ce sentiment universel de se sentir en vie. Ce luxe…

Le retour au sacré. Une joie intacte, d’une nostalgie positive et enthousiaste, pour retrouver le goût de l’étonnement.

Les "vrais lieux" sont toujours garants de l'universel, et si le temps est au métissage, les frontières auraient vocation à être abolies. Cette mondialisation ne suppose pas simplement la libre circulation des marchandises, mais aussi des personnes, donc des idées, donc des cultures.

Alors avant que cela ne soit trop tard n’est-il pas juste projet d’aller nous-mêmes à la rencontre de ces cultures, et de passer ainsi en revue les principes de notre soi-disant bonheur ?

Les réponses sont aussi ailleurs, faut-il seulement avoirle courage de partir… Quoi qu’il en soit, c'est le départ qui importe. Cendrars avait raison, "quand on aime, il faut partir" , et c’est là que le voyage devient un luxe essentiel.

Nicolas Ambrosetti
MARKET MAGAZINE, Janvier 2013

August 18, 2021
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